Se rendre au contenu

Produire, c'est aussi détruire

Internet a une habitude : montrer ce qui marche et gommer ce qui ne fonctionne pas. Voyager sur les réseaux sociaux, c'est bien souvent parcourir un monde qui n'est fait que de petits ou grands bonheurs, ou de terribles malheurs. Il n'y a souvent pas la place pour les déceptions modestes, les cafouillages, les petits accidents sans trop d'incidence. Ça doit être heureux, ou dramatique. Pourtant, ils existent, ces plantages, et ils sont quotidiens. Alors, des fois, à trop passer de temps dans le virtuel, on a l'impression que s'il nous arrive des broutilles, c'est qu'on est tout particulièrement malchanceux.


Ce site, c'est celui d'une entreprise. Il est là pour nous aider à nous faire connaître, c'est vrai. Mais aussi, quelque part, pour partager le quotidien de nos productions et de notre métier. Il nous semble que mieux comprendre comment sont produits les choses que l'on consomme nous aide à éclairer nos choix. C'est ce que l'on pense de manière générale, et ça doit pouvoir l'être pour des plants ou des fleurs. Ceci implique de montrer aussi les échecs. En photo, en voilà un.

 Ces plants, dans une vieille lessiveuse, ce sont 90 arbres qui ne pourront pas aller dans vos jardins. Et pour cause : s'ils semblent vivants, c'est qu'ils ne sont pas au courant qu'ils sont en fait morts. Nous ne sommes pas encore bien sûr de ce qu'il se passe : pour ça, une dizaine de leurs congénères sont partis en laboratoire d'analyses. Ce dont nous sommes certains, par contre, c'est que leur tronc ne laissait plus passer la sève : ils étaient tous secs sur quelques centimètres de hauteur.


A ce stade, notre hypothèse est qu'ils ont souffert de la sécheresse. Nous n'avons ni forage ni réseau d'eau sur la parcelle : on compte sur la pluie et notre stockage d'eau ... De pluie (vous pouvez en savoir plus ici). Mucho complicado este ano. Premier problème. Le second : le mois de juin, et le début du mois de juillet, ont été très très chauds, avec un ensoleillement pratiquement continue. Si la peau des humains rougit sous les coups de notre astre central, celle des arbres noircit. Oui, les plantes aussi prennent des coups de soleil. Et plus elles sont jeunes et faibles plus elles sont susceptibles d'en souffrir. Or, nos arbres ont très peu poussé jusqu'à présent, du fait du manque d'eau et des températures trop importantes.


Ce deux stress important ont très certainement rendu nos bébés arbres très fragiles. Et quelqu'un en a profité. C'est lui que l'on essaie d'identifier. C'est très probablement un champignon, membre du gang que l'on appelle "chancre". Champignon qui aura ôté tout espoir de soin pour les sujets touchés : il ne se soigne que par enlèvement des parties infectées. Or, sur des petits arbres, enlever la partie infectée, c'est tout enlever.


Alors nous voilà rendus à cette lessiveuse et ce qu'elle contient : des sujets dont nous sommes certains qu'ils sont touchés. Pas question de vous les vendre, et pas question de prendre le risque qu'ils contaminent leurs voisins, que les pluies de mi-juillet vont revigorer, mais qui, pour le moment, sont encore bien fébriles. Nous les avons donc arrachés, stockés à part avant de pouvoir les brûler, pour détruire les spores qu'ils pourraient abriter.

Produire, donc, c'est aussi parfois accepter de devoir détruire. Détruire pour sauver le reste. Détruire pour ne pas vous vendre des arbres dont on est certains qu'ils sont malades. Nous voulions parler ici de cet aspect de notre métier, parce qu'il n'est pas toujours facile à vivre et qu'écrire, c'est se libérer un peu. Mais aussi pour ce que nous avons écrit en introduction : peut être que partager un peu nos accidents, ici, participera un tout petit peu à débiaiser le world wide web. Vraiment un tout petit peu. Mais l'océan est rempli de gouttes, après tout. 

Cet article sera complété d'ici quelques jours de photos détaillant les symptômes, pour qui ça intéresserait. 

Quelques photos des symptômes

Ci contre un porte greffe de pommier EM9, en pleine terre. La face observée est le coté ouest.

De bas en haut : 

Au collet, c'est à dire à la jonction des racines et le tronc : le sujet produit des rejets, ce qui semble indiquer que les racines sont vivantes. 

On observe ensuite une zone très sombre : si l'on grattait la surface, on constaterait que le cambium est brun. Le bois reste encore humide, au moins pendant les premiers jours. Il est fort probable que de la sève brute continue de traverser cette partie. 

La zone "sombre" s'arrête brutalement, avec une gerçure.

Au dessus, le bois d'une couleur anormale, virant au orange. En grattant, on constaterait un cambium certes vert mais palissant. 



Détail d'une gerçure. A gauche, la face visible sur la photo précédente. Les craquelures sont présentes sur toute la périphérie du sujet.